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Le retour de la déclaration pays par pays ou CbCR

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Le retour de la déclaration pays par pays ou CbCR

Qualifier vos CbCR, outils indispensables pour Pilier 2 et les mesures transitoires (Safe Harbours)

En 2016, la transposition en droit français d’une recommandation de l’OCDE, exposée dans son plan BEPS (« Base Erosion and Profit Shifting ») visant à lutter contre l’érosion de la base d’imposition et le transfert de bénéfices, conduit à l’émergence d’une nouvelle obligation ; celle d’établir, notamment pour les groupes réalisant un chiffre d’affaires mondial consolidé d’au moins 750 M€, le CbCR (« Country by Country Reporting »).

Chaque année et pour chacune des juridictions fiscales d’implantation du groupe, les entreprises soumises au CbCR doivent fournir des informations à la fois qualitatives et quantitatives : identification des entités et agrégats. Elles doivent notamment soumettre le chiffre d’affaires résultant des transactions avec des parties indépendantes, le chiffre d’affaires total, le bénéfice ou la perte avant impôts sur les bénéfices, les impôts sur les bénéfices acquittés, les impôts sur les bénéfices dus, le capital social, les bénéfices non distribués à la fin de l’exercice, le nombre d’employés en équivalent temps plein, et enfin, les actifs corporels hors trésorerie et équivalents de trésorerie.

Une déclaration pays par pays doit être déposée par le groupe comprenant les données pour l'ensemble de ses entités.

L’entreprise tête de groupe déclarante peut choisir d’utiliser des données tirées de ses états financiers consolidés, des états financiers distincts relatifs aux entités individuelles, ou des comptes de gestion internes.

En pratique, on constate que les groupes ont privilégié les données utilisées pour la production des états financiers consolidés et se sont appuyés sur les outils de consolidation pour remonter les données « extra comptables ».

CbCR et Pilier 2 : Un processus désormais bien rodé

Deux nouvelles réglementations le CbCR « public » et Pilier 2 devraient obliger les groupes à fiabiliser et à qualifier les données remontées jusqu’alors dans le CbCR « fiscal ». Et ce dès l’exercice 2023.

Le CbCR « public » : à compter du 22 juin 2024, il constitue, pour les exercices ouverts, une nouvelle obligation déclarative tenant à la publication par les entreprises multinationales d’un rapport comportant des informations relatives aux impôts sur les bénéfices supportés dans les pays où elles opèrent. Là où le CbCR fiscal est uniquement communiqué aux administrations fiscales, le CbCR public, avec son champ d’application et ses règles déclaratives propres, sera dès son dépôt mis gratuitement à la disposition du public, pour une période de 5 ans, sur le site internet de la société déclarante. Si une grande partie des informations reportées dans le CbCR « fiscal » sont communes au CbCR « public » il n’y a cependant pas d’identité stricte.

Pilier 2 : Le 8 octobre 2021, 137 des 140 pays membres du cadre inclusif OCDE/G20 sur le BEPS (CI) ont conclu un accord historique visant à mettre en œuvre une solution reposant sur deux piliers pour réformer les règles fiscales internationales en réponse aux enjeux fiscaux relatives à l’économie numérique.

Les règles GloBE

L’OCDE a publié en décembre 2021 le modèle de règles du Pilier 2, également appelé modèle de « règles globales de lutte contre l’érosion de la base d’imposition » ou « règles GloBE », qui fournit le cadre et les modalités de fonctionnement de l’impôt mondial minimum. Ces règles s’appliquent aux multinationales d’un chiffre d’affaires d’au moins 750 millions d’euros (idem que le CbCR) au cours de deux des quatre derniers exercices.

Les règles GloBE sont des règles fiscales internationales dont l’objectif est de garantir que les entreprises multinationales (EMN), qui entrent dans le champ d’application desdites règles, paient un taux d’impôt minimum de 15% sur le revenu généré dans chaque juridiction où elles exercent leurs activités. Lorsque le taux effectif d’imposition d’une EMN est inférieur à 15% dans une juridiction donnée, l’EMN devra payer un impôt complémentaire (“Top-up ;tax”) pour combler la différence. En règle générale, l’impôt complémentaire devrait être payé par l’entité mère ultime de l’EMN, l’impôt étant dû à l’autorité fiscale locale de l’entité mère.

Pour savoir si elles doivent payer un impôt complémentaire, les EMN doivent calculer le taux effectif d’imposition (TEI) pour chaque juridiction dans laquelle le groupe d’EMN exerce ses activités.

Pour ce faire, il est nécessaire de calculer le bénéfice ou la perte selon les règles GloBE et les impôts concernés sur ce bénéfice ou cette perte pour chaque entité constitutive du groupe. De nouveaux agrégats et points de données sont nécessaires et sont notamment issus des comptes consolidés qualifiés.

La première mise en application est envisagée pour tous les exercices fiscaux débutant après le 31 décembre 2023.

Les 3 tests des « Safe Harbours »

Face à la complexité du dispositif GloBe dans sa mise en œuvre, l’OCDE a publié, le 20 décembre 2022, les « principes sur les régimes de protection et d’allègement des sanctions » (« Safe Harbours and Penalty Relief »). Ces mesures permettent de simplifier le calcul du TEI et permettent aux entités de pays non significatifs et / ou à taux « fort » d’échapper à l’impôt complémentaire.

Les 3 tests des « Safe Harbours » transitoires dans les juridictions concernées s’appuient très largement sur les données du CbCR fiscal. Si une juridiction satisfait à un des trois tests ci-dessous, l’impôt complémentaire au niveau de cette juridiction sera présumé nul pendant une période transitoire (en pratique pour les groupes clôturant le 31 décembre, les exercices clos en 2024, 2025 et 2026).

Test de minimis : le chiffre d’affaires reporté dans le CbCR qualifié doit être inférieur à 10M€ et le bénéfice avant impôt inférieur à 1M€.

Test du taux d’imposition effectif simplifié : le taux d’imposition effectif, calculé sur la base des taxes des états financiers consolidés qualifié (impôt courant et impôt différé) et du bénéfice avant impôt figurant dans le CbCR, doit être supérieur au taux d’imposition transitoire de Pilier 2 soit 15% au titre des exercices 2023 et 2024, 16% et 17% pour les exercices 2025 et 2026

Test de substance : le profit de routine, correspondant à la somme d’un pourcentage des actifs éligibles et d’un pourcentage des frais de personnel éligibles, de la juridiction doit être supérieur ou égal au montant de son bénéfice / perte avant impôt. Le montant des actifs éligibles correspond à la moyenne des deux dernières années des actifs corporels tels que reportés dans le CbCR (2023 et 2024).

Les points d’attention du CbCR :

Le rôle du CbCR dans la mise en œuvre des mesures de sauvegarde complémentaires à la directive Pilier 2 transposée dans le projet de loi de finances pour 2024 devient alors crucial puisqu’il est la base déclarative nécessaire à l’application de ces Safe Harbours. Auparavant considérées comme une déclaration administrative, les données reportées dans le CbcR sont désormais utilisées pour justifier l’exclusion de juridictions remplissant les conditions des mesures de sauvegarde de Pilier 2 avec une conséquence financière directe : la non-reconnaissance d’une provision d’impôt supplémentaire au titre de Pilier 2.

Si le premier CbCR utilisé sera celui relatif à l’exercice fiscal 2024, et si les mesures d’allègement des sanctions devraient permettre une certaine « tolérance » de l’administration fiscale, c’est bien lors de la réalisation du CbCR 2023 que son processus d’élaboration doit être revu, quitte à y apporter d’éventuelles corrections pour le « qualifier » eu égard aux « Safe Harbours ». Il sera par ailleurs la base pour simuler les potentiels impacts de Pilier 2 par juridiction.

Quels sont alors les points de vigilance à prendre en compte et les questions qui se posent ?

Le périmètre :

Identifier les différences entre le périmètre CbCR et le périmètre consolidé du groupe : sociétés non matérielles, sociétés transparentes fiscalement, sociétés mises en équivalence, sociétés destinées à être cédées, anticipation de l’impact des opérations de croissance externe à venir sur les agrégats par juridiction. Quelles instructions pour les sous paliers de consolidation opaques comprenant plusieurs juridictions ?

Les données :

Elles sont issues du CbCR fiscal « qualifié » et des contributifs consolidés regroupés par juridiction. Les données du CbCR fiscal sont-elles des données « statutaires » et auquel cas faut-il prévoir d’« harmoniser » les principes comptables retenus entre la donnée CbCR et la donnée consolidée au niveau de la juridiction ? Ces données sont-elles en ligne avec les règles et définitions GloBe ?

Prenons l’exemple des impôts – traitement de la CVAE ou des crédits d’impôt ? Comment prendre en compte le retraitement des positions fiscales incertaines (IFRIC 23) et leur impact sur l’exercice (provision utilisée versus non utilisée) ? Traitement du report variable en cas de changement du taux d’imposition dans une juridiction ?

Concernant les charges de personnel nécessaires au calcul du profit de routine : les écritures de consolidation par juridiction ont-elles été correctement allouées à la juridiction (impact IFRS 2 par exemple) et non enregistrées en « top conso » ?

Les résultats de la simulation :

Compréhension des raisons pour lesquelles les taux effectifs (TEI) sont inférieurs à 15% dans des juridictions avec des taux d’imposition supérieurs à 15%. Par exemple une non-activation historique de pertes fiscales pour des sociétés qui pourraient être bénéficiaires à court terme aurait mécaniquement un impact sur le TEI de la juridiction. Quelle approche retenir dans les comptes consolidés à fin décembre 2023 dans ce type de configuration ?

Effectuer des tests de sensibilité, notamment pour les juridictions exemptées, uniquement grâce à un test. En effet, selon le principe « once out, always out », la période transitoire prend fin dès lors que la juridiction ne valide pas au moins un des trois tests. Les règles GloBe s’appliqueront alors avec la complexité que cela entraine dans leur mise en œuvre.

Le calendrier :

Compte tenu des travaux à mener, il est primordial de compiler les informations nécessaires à la constitution du CbCR dans un calendrier plus court que celui que permet la réglementation. Pour rappel, l’entité mère ultime du groupe doit déposer le CbCR au titre d’un exercice fiscal dans les douze mois suivant la fin de l’exercice concerné auprès de l’administration fiscale de la juridiction dont elle est fiscalement résidente.

Les groupes, pour se mettre en conformité avec ces nouvelles règles fiscales, vont devoir revoir leur façon d’appréhender la donnée fiscale. Il ne s’agit plus d’agréger des impacts fiscaux locaux mais bien d’avoir une stratégie fiscale au niveau du groupe. La tête du groupe porte la responsabilité in fine de la correcte application des règles GloBe.

Cette stratégie doit s’appuyer sur une gouvernance forte, un reporting détaillé et outillé et des équipes financières et fiscales formées travaillant de concert.  Avec un CbCR qui devient public, une imposition juridictionnelle avec un impact réputationnel, la fiscalité entre dans l’ère et la sphère de la communication financière. Cela passera par une explication de texte, une réconciliation entre les différentes informations publiées pour assurer une transparence et une bonne compréhension des impacts et enjeux. C’est ce qui transparaît dans la dernière recommandation de l’AMF relative à l’arrêté des comptes de décembre 2023 dans laquelle il est préconisé de fournir des « explications de la relation entre la charge ou le produit d’impôt et le bénéfice comptable, des informations détaillées et spécifiques, par exemple une information par juridiction fiscale sur la base de calcul du ou des taux applicables. »

La consolidation fiscale sous un référentiel international (GloBe) est née ! Quel meilleur exemple à suivre que celui de la consolidation financière ? Mais cela fera l’objet d’un prochain article. En attendant les associés Business Consulting Services au sein du Conseil Opérationnel de Grant Thornton et les avocats fiscalistes de Grant Thornton Société d’Avocats peuvent répondre aux multiples interrogations que peuvent susciter ces textes.