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Alerte sociale

Droit social : le point sur les délais et les procédures des contentieux

Décryptage des mesures d’adaptation adoptées par le Gouvernement pour faire face à l’urgence sanitaire

Pour rappel, la Garde des Sceaux avait annoncé, le 16 mars 2020, la fermeture de l’ensemble des juridictions en France dans le contexte de crise sanitaire liée au Covid-19. S’était alors posée la question de la continuité du traitement des contentieux. En effet, dans l’intérêt des justiciables, il n’était pas concevable de stopper toute activité judiciaire. Le Gouvernement a ainsi laissé le soin à chaque juridiction, dans un premier temps, de déterminer son propre plan de continuation d’activité (PCA) de ses services afin, notamment, de permettre le traitement des contentieux qualifiés d’essentiels ou d’urgents. Pour précision, les référés en matière sociale ne sont pas considérés comme tels et ne font donc pas partie des PCA.

Afin de s’adapter aux enjeux sanitaires de la pandémie et du confinement, tout en permettant d’assurer une activité réduite dans le cadre de la mise en œuvre des différents PCA, le Gouvernement a ensuite adopté par ordonnance des mesures venant alléger les règles de fonctionnement des juridictions, dont les juridictions sociales.

Ont ainsi été publiées, le 26 mars dernier, quatre ordonnances prises en application de la loi d’urgence n° 2020-290 du 23 mars 2020 pour faire face à l’épidémie de Covid-19, portant adaptation des règles de procédure pénale ainsi que des règles applicables aux juridictions de l’ordre judiciaire et de l’ordre administratif (n°2020-303, n°2020-304, et n°2020-305) et, portant prorogation des délais et adaptation des procédures (n°2020-306).

Les règles applicables devant les juridictions civiles, définies par l’ordonnance n°2020-304, ont été précisées par une circulaire datée du même jour de la Garde des Sceaux, adressée aux chefs de cour et de juridiction, dont les Présidents des Conseils de prud’hommes.

Les mesures prévues par ces textes s’appliquent durant une période dite « juridiquement protégée », qui court du 12 mars au 24 juin 2020 (i.e. un mois à compter de la cessation de l’état d’urgence sanitaire, qui a été fixée à l’issue d’un délai de deux mois à compter de la publication de la loi d’urgence, le 24 mars dernier).

Retour sur les principales mesures applicables aux affaires audiencées devant le Conseil de prud’hommes ou en appel

Délais arrivant à échéance et actes devant être accomplis pendant la période juridiquement protégée (concernant les actions en justice et recours, les formalités légales, etc. soumis à prescription) : le délai légalement imparti pour agir court de nouveau à compter de la fin de cette période, dans la limite de deux mois (soit jusqu’au 24 août 2020 au plus tard).

En pratique :

  • Hypothèse n° 1 : Si le délai initial est supérieur à deux mois, le délai supplémentaire expirera le 25 août 2020 (fin de la période + 2 mois).
    Par exemple, le délai de la prescription quinquennale de droit commun (C. civ., art. 2224) expire le 20 mars 2020. Au jour du mois suivant la fin de l’état d’urgence (probablement le 24 juin 2020), un délai supplémentaire sera ouvert pour introduire une action en justice. Compte tenu du plafonnement de la prorogation à deux mois, le délai de prescription de droit commun s’éteindra le 25 août 2020 au plus tard.

  • Hypothèse n° 2 : Si le délai initial est inférieur à deux mois, le délai supplémentaire va s’ouvrir à la fin de la période pour une même durée que celle initialement prévue.
    Par exemple, dans la procédure à bref délai, l’appelant dispose d’un délai d’un mois pour remettre ses conclusions au greffe (C. pr. civ., art. 905-2). Si le délai expire le 18 mars 2020, l’appelant bénéficiera à compter du 25 juin 2020 d’un délai supplémentaire de même durée pour conclure, qui arrivera à terme le 25 juillet 2020.
    B. : cette mesure ne concerne pas les délais échus avant le 12 mars 2020 ni ceux dont le terme est fixé au-delà du 24 juin 2020, lesquels ne sont donc pas reportés.

Transfert de compétence territoriale en cas d’incapacité de fonctionner : possibilité, pour le premier président de la cour d’appel, de désigner une autre juridiction du ressort de la cour pour connaître tout ou partie de l’activité relevant de la compétence de la juridiction empêchée (en raison du confinement ou de l’état de santé des conseillers notamment).

Communication entre les parties : possibilité, pour les parties, d’échanger leurs écritures et leurs pièces par tout moyen, dès lors que le juge peut s’assurer du respect du contradictoire. Dans ce cadre, les parties sont invitées à conserver la preuve de la transmission à la partie adverse avec la date de celle-ci afin de prévenir toute contestation.

Renvoi ou suppression des audiences :

  • Lorsque les parties sont représentées ou assistées par un avocat et que leur audience est supprimée, le greffe avise les parties du renvoi de l’affaire par tout moyen : lettre simple, téléphone, courriel, affichage sur le site de la juridiction, etc. ;
  • Si le défendeur ne comparaît pas à l’audience à laquelle l’affaire est renvoyée, la décision est rendue par défaut.

Tenue des audiences :

  • Possibilité, pour le président, de décider de la publicité restreinte des débats voire, si nécessaire (i.e. s’il n’est pas possible de garantir les conditions nécessaires à la protection de la santé des personnes présentes à l’audience), de leur déroulement en chambre du conseil (hors la présence du public) ;

  • Possibilité de tenir des audiences dématérialisées en ayant recours à la visioconférence ; en cas d’impossibilité d’utiliser ce moyen, le juge pourra décider d’entendre les parties et leurs avocats par tout autre moyen de communication électronique, y compris téléphonique – dans tous les cas, le moyen utilisé devra (i) permettre de s’assurer de l’identité des parties et (ii) garantir la qualité de la transmission et la confidentialité des échanges entre les parties et leurs avocats. La décision de recourir à moyen de télécommunication visuelle pour tenir l’audience ne sera pas susceptible de recours.

  • Lorsque les parties sont représentées ou assistées par un avocat, possibilité pour la juridiction de statuer sans audience et selon une procédure écrite (possibilité pour les parties de s’y opposer dans un délai de 15 jours, sauf lorsque la procédure est urgente) ;

  • Pour les audiences de référés maintenues, possibilité pour la juridiction de rejeter par ordonnance non contradictoire, avant l’audience, une demande irrecevable ou qui ne remplit pas les conditions d’un référé.

  • le Conseil d’Etat en référé pour dénoncer la simplification de certaines procédures et les atteintes au respect du contradictoire.

    A noter toutefois que les institutions et associations d’avocats ont saisi le Conseil d’Etat en référé pour dénoncer la simplification de certaines procédures et les atteintes au respect du contradictoire.

Notification des décisions : possibilité de porter à la connaissance des parties les décisions rendues par tout moyen, sans préjudice des règles de notification des décisions.

Le sort des procédures prud’homales en cours est donc éclairé par ces textes ; en revanche ces derniers ne visent pas le Code du travail. Aussi les règles relatives aux délais et procédures hors contentieux en droit du travail continuent de s’appliquer sans aménagement particulier. Seraient toutefois concernées par ces mesures les procédures en matière sociale incluant l’Administration (demande d’autorisation de licenciement des salariés protégés ou rupture conventionnelle par exemple), pour laquelle les délais ont été suspendus. Cette question est toutefois sujet à interprétation en particulier concernant la procédure de rupture conventionnelle homologuée mais devrait être clarifiée ces prochains jours avec la publication d’une ordonnance « balai » venant corriger certaines imprécisions des récents textes gouvernementaux.

Les entreprises et leurs conseils sont donc appelés à une extrême vigilance quant à leurs obligations pendant cette période, qui, si elle permet quelques adaptations, ne suspend ni n’interrompt pour autant les délais et procédures en matière sociale.

Auteurs : Caroline Luche-Rocchia, Avocat, Associée / Mailys Tixier, Avocat