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Alerte fiscale

Covid-19 : Comment adapter les politiques de prix de transfert ?

Les conséquences de la crise liée au Covid-19 sur l’activité économique mondiale représentent des enjeux majeurs pour les entreprises multinationales. Cette crise a engendré des fermetures de points de vente, des fermetures d’usines et des modifications de la consommation ayant mis en exergue des problématiques de répartition des pertes au sein des groupes et des interrogations sur les rémunérations intragroupe au regard de certains modèles prix de transfert.

Les groupes multinationaux vont dès lors devoir s’interroger sur la nécessité d’adapter leur modèle prix de transfert afin de refléter les circonstances économiques particulières liées à cette crise sans précédent. Ces problématiques de prix de transfert doivent être envisagées par les groupes le plus tôt possible dans le respect des Principes Directeurs de l’OCDE et des réglementations locales, les administrations fiscales risquant de durcir les contrôles fiscaux portant sur l’exercice 2020. Cet article constitue le second focus de notre série de quatre et complète notre webinaire « Comment adapter sans tarder les contrats intragroupes et les politiques de prix de transfert ? » du 10 juin dernier.

Répartition des pertes globales

Les principes OCDE prévoient que « les entreprises associées, tout comme les entreprises indépendantes, peuvent réellement accuser des pertes, dues (…) à des conditions économiques défavorables, (…) ou à d’autres motifs industriels ou commerciaux légitimes » (§1.129). 

Il n’est nul doute que la crise du Covid-19 sera considérée comme constitutive de conditions économiques défavorables mais sera-t-elle suffisante pour justifier à elle seule qu’une entité d’un groupe subisse les pertes ? Les principes OCDE requièrent que le niveau de rémunération d’un membre du groupe doit refléter ses fonctions exercées, risques assumés et actifs utilisés. Il sera dès lors difficile de remettre en cause des rémunérations intragroupe lorsque les pertes sont liées à un risque assumé par l’entrepreneur et que le modèle prix de transfert en place reflète les profils fonctionnels de chacune des entités du groupe.

Toutefois, les entités à risque limité pourront se voir attribuer un certain niveau de perte s’il peut être démontré que des parties indépendantes dans des circonstances similaires ont supporté des coûts et des pertes similaires. Cela nécessitera évidemment une analyse détaillée au cas par cas.

Quid des rémunérations des entités à risque limité ?

En application des modèles en place, les entités de routine se voient garantir un niveau de marge. Rappelons qu’un profil fonctionnel à risque limité ne signifie pas une absence de risque.

Ainsi, la rémunération des entités à risque limité pourrait, au regard des faits et circonstances en cause, faire l’objet d’adaptation en prenant en compte.

  • Afin de vérifier si la répartition des risques est contractuellement envisagée (le contrat écrit constituant le fondement de la répartition des responsabilités et des risques) ;
  • Afin, selon les cas, d’envisager la suspension du contrat (clause relative à la force majeure) dès lors que l’entité de routine ne peut fournir les biens ou services intragroupe. Les coûts supportés par ces entités de routine, alors même que l’activité est à l’arrêt, pourraient être pris en charge par l’entrepreneur afin d’assurer la pérennité post crise de la société ;
  • Afin, selon les cas, d’envisager une renégociation du contrat en se fondant sur l’imprévisibilité (sans toutefois remettre en cause le profil fonctionnel de l’entité de routine).

Les modalités de calcul des prix de transfert :

Certains modèles prix de transfert sont basés sur des revenus/coûts budgétés. Dès lors que les budgets ont été établis sur la base d’une activité normale, des ajustements pourront être envisagés afin de prendre en considération les pertes liées aux circonstances exceptionnelles de la crise.

De plus, des réglementations locales ont permis aux entreprises de bénéficier de certaines mesures (chômage partiel, report de charges, etc.). En conséquence, ces charges qui n’ont pas été engagées par l’entité de routine ne seront pas à intégrer dans la base de coûts pour le calcul des rémunérations intragroupe (réduisant de facto le coût supporté par l’entrepreneur).

Adaptation des analyses économiques

Les comparables utilisés pour justifier les niveaux de marge intragroupe des entités de routine ne reflètent pas les nouvelles conditions économiques induites par la crise. En effet, ces analyses économiques se fondent sur des exercices antérieurs puisque les données financières les plus récentes disponibles sur les bases de données concernent actuellement l’année 2018.

A ce stade et afin de refléter l’année 2020, il serait envisageable :

  • d’inclure des entreprises déficitaires ou des entreprises ayant un chiffre d’affaires plus bas dans le set des entreprises comparables ;
  • d’étendre la période envisagée (période triennale souvent utilisée en pratique) pour refléter un cycle économique complet ;
  • d’ajuster les données financières des comparables retenus en tenant compte des périodes de ralentissement économique (crise économique de 2008) ;
  • d’utiliser un autre point de l’intervalle de pleine concurrence pour refléter la rémunération de pleine concurrence.

Autant de possibilités qui devront être envisagées et discutées afin de refléter au mieux la situation économique en évitant tout risque de contestation en cas de contrôle fiscal.

Préparation d’une documentation prix de transfert

Il conviendra de s’assurer de l’existence d’une documentation prix de transfert contemporaine qui permettra de justifier les rémunérations intragroupe et les éventuelles adaptations réalisées en raison de la crise du Covid-19.

Pour que les analyses soient représentatives des fonctions exercées et risques assumés lors des diverses phases de la crise, il pourra notamment être envisagé de distinguer les pertes causées et de les quantifier selon la période (avant la pandémie, pendant la pandémie et durant la période de reprise après la pandémie).

Auteurs : Pascal Luquet, Avocat, Associé, Nadia Boudaoud, Fiscaliste, Jetlira Kurtaliqi, Fiscaliste.