L’exemple franco-suisse
Contents

Le télétravail a concerné plus de 41 millions de personnes en 2021 dans l’Union Européenne. Il est particulièrement apprécié par les salariés dont l’employeur est situé dans un Etat autre que celui de leur résidence.

Cette nouvelle organisation du travail dans un cadre transnational bouscule les règles actuelles de détermination du lieu d’imposition des salaires pour l’impôt sur le revenu.

L’accord adopté entre la France et la Suisse constitue le premier exemple d’adaptation de ces règles et pourrait servir de modèle pour des accords avec d’autres Etats.

Raisons de l’accord :

Le recours imposé au télétravail durant la crise sanitaire a obligé les Etats à prendre des mesures d’urgence pour éviter une remise en cause du lieu d’imposition des revenus professionnels des salariés télétravaillant dans un Etat autre que celui de leur employeur.

En effet, le recours au télétravail dans un cadre international n’est pas appréhendé par les conventions fiscales en matière d’impôt sur le revenu.

Or, la pérennisation du télétravail doit conduire à l’adoption de règles durables adaptées à ce nouveau mode de travail pour ne pas l’entraver dans un cadre international.

Ainsi, l’accord provisoire du 13 mai 2020 signé entre la France et la Suisse en pleine crise sanitaire a été plusieurs fois prorogé, alors même que la situation sanitaire ne l’exigeait plus.

Par un communiqué du 22 décembre 2022, la France et la Suisse ont annoncé avoir trouvé des règles définitives.

Selon ce communiqué, elles seront matérialisées via la signature d’un accord amiable et d’un avenant à la convention fiscale bilatérale signée en 1966. Ces règles s’appliqueront à compter du 1er janvier 2023.

Distinction entre les frontaliers et les autres salariés :

Le communiqué établit une distinction entre les frontaliers et les « autres travailleurs » ou « transfrontaliers ».

En effet, la convention de 1966 différencie la situation des salariés répondant à la définition de frontalier, précisée par un accord du 11 avril 1983, de celle des « transfrontaliers ». Les deux catégories concernent des salariés résidents fiscaux d’un Etat qui ont un employeur et travaillent dans l’autre Etat mais les premiers bénéficient d’un régime d’imposition particulier contrairement aux seconds.

Règles applicables aux frontaliers français :

Sont considérés comme frontaliers, les résidents de France qui travaillent en Suisse dans les cantons de Berne, Soleure, Bâle-Ville, Bâle-Campagne, Vaud, Valais, Neuchâtel et Jura.

Ils ne sont imposables qu’en France alors même qu’ils exercent leur activité exclusivement dans un canton frontalier et à la condition de retourner quotidiennement en France (avec une tolérance de 45 nuitées par an passées hors de France).

Cette règle vise à simplifier leur obligations déclaratives car ils ne doivent déclarer leurs salaires qu’en France.

Néanmoins, la condition du travail exclusif en Suisse pour bénéficier du statut de frontalier empêche tous recours régulier au télétravail en France.

Règles applicables aux transfrontaliers français :

A l’inverse, les salaires des transfrontaliers sont imposables dans l’Etat où ils travaillent.

Ainsi, les salaires suisses versés à un résident de France sont imposables en Suisse mais ils doivent être aussi déclarés en France (avec l’application d’un crédit d’impôt pour diminuer la double imposition). Les transfrontaliers ne bénéficient donc pas de la mesure de simplification.

Seuil de 40% de télétravail :

Selon le communiqué, une modification majeure est prévue en fixant un seuil en dessous duquel le télétravail reste neutre sur les règles d’imposition.

Frontaliers :

Les frontaliers pourront télétravailler dans la limite de 40% de leur temps de travail.

Ainsi, les salaires d’un résident fiscal français, salarié d’une société suisse, resteraient exclusivement imposables en France à condition de travailler 40% de son temps de travail en France et au moins 60% en Suisse.

Dans le cas contraire, son salaire serait imposable en France pour les jours travaillés en France et également en Suisse pour les jours travaillés en Suisse.

Transfrontaliers :

A l’inverse, pour les salariés résidents français qui travaillent en Suisse mais qui n’ont pas le statut de frontalier, leurs salaires seraient imposables uniquement en Suisse, si le travail effectué à distance depuis la France n’excède pas 40% du temps de travail.

Ainsi, les salaires d’un résident fiscal français, travaillant pour un employeur situé dans le canton de Genève ne seront imposés qu’en Suisse à condition de travailler 40% de son temps au maximum en France et au moins 60% en Suisse.

Dans le cas contraire, la règle jusqu’à présent applicable sera maintenue: son salaire serait imposable en France pour les jours travaillés en France et également en Suisse pour les jours travaillés en Suisse.

Observations :

Cet accord permet de maintenir un régime déclaratif simplifié pour les frontaliers qui ne télétravaillent pas plus

de deux jours par semaine en moyenne. Les précisions à venir sur le mode de calcul pourra donner plus ou moins de flexibilité pour le calcul du seuil.

L’accord couvre aussi les transfrontaliers et leur permet également de bénéficier d’un régime déclaratif spécifique alors qu’ils ne bénéficiaient jusqu'à présent d’aucune règle particulière.

Par ce biais, la différence de traitement entre frontaliers et transfrontaliers est réduite puisque leurs salaires ne sont imposables que dans un seul Etat mais la règle de l’Etat d’imposition est opposé: imposition exclusive dans l’Etat de résidence pour les frontaliers et imposition exclusive dans l’Etat de l’employeur pour les transfrontaliers.

La situation de télétravail est neutralisée mais jusqu’à un certain seuil. Les entreprises qui ont institué une grande liberté sur la gestion du temps de travail et leurs salariés devront penser aux impacts fiscaux s’ils travaillent dans leur Etat de résidence plus de 2 jours par semaine en moyenne.

Il sera intéressant d’observer si cet accord servira de modèle pour l’adoption de  règles identiques par la France et les autres Etats frontaliers, et plus largement à l’échelle européen et internationale dans le cadre de l’OCDE.

Il sera également intéressant de voir si la même logique, par soucis de cohérence, notamment au regard du seuil, sera suivie pour les règles de détermination du lieu de paiement des cotisations sociales, qui devraient également évoluer pour tenir compte des cas de télétravail frontalier et transfrontalier.