Des précisions cruciales
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L’existence d’un changement significatif d’activité est une question cruciale dans le cadre d’opérations de fusion dans la mesure où elle peut impacter la possibilité de bénéficier d’un transfert des déficits de la société absorbée. Par un récent arrêt du 2 avril 2021, le Conseil d’Etat apporte des précisions cruciales sur les éléments permettant de caractériser un tel changement.

Pour rappel, en présence d’une fusion ou opération assimilée placée sous le régime de faveur (Article 210-A du Code Général des Impôts « CGI »), les déficits antérieurs constatés par la société absorbée et non encore imputés peuvent faire l’objet d’un transfert au profit de la société absorbante sous réserve de l’obtention d’un agrément auprès de l’administration fiscale. Cet agrément est accordé de plein droit lorsque l’opération remplit certaines conditions et notamment si l’activité à l’origine des déficits n’a pas subi de changement significatif sur l’intégralité de la période de constatation des déficits (i.e. de l’exercice de naissance des déficits à celui de la demande de transfert) (Article 209 II du CGI).

Or, l’appréciation de la notion de changement d’activité est sujet à de nombreuses discussions en pratique dans la mesure où les critères posés par la loi pour apprécier un tel changement (i.e. clientèle, emploi, moyens d’exploitation, nature et volume d’activité) font souvent l’objet d’interprétation différente selon que l’on se place du côté du contribuable ou de l’Administration fiscale.

L’arrêt du Conseil d’Etat du 2 avril 2021 apporte des précisions cruciales sur l’appréciation de ce changement d’activité.

Décision du Conseil d’Etat (CE 2 avril 2021 n°429319 SAS Alliance Négoce)

Dans la décision SAS Alliance Négoce, une société française ayant une activité de négoce agroalimentaire a fait l’objet, en date du 31 décembre 2015, d’une fusion-absorption placée sous le régime de faveur par la société Alliance Négoce. Cette dernière a sollicité, à l’occasion de cette opération, l’obtention d’un agrément afin de pouvoir bénéficier du transfert des déficits de la société absorbée. Estimant que l’activité avait subi un changement significatif pendant la période de constatation des déficits, l’Administration fiscale a rejeté cette demande.

Tant le tribunal administratif que la CAA de Nantes ont soutenu la position de l’administration fiscale. En effet, la CAA a fait valoir que l’activité de la société avait subi un changement significatif du fait de (i) la perte de l’intégralité de l’effectif salarié, la société préférant recourir à du personnel extérieur et (ii) de la diminution de plus de 65% de l’actif brut corporel résultant de la cession par la société de son matériel et de sa flotte de véhicules.

La CAA a ainsi retenu une approche littérale de la notion de changement d’activité…

Le Conseil d’Etat dans son arrêt du 2 avril 2021 a rejeté le raisonnement de la CAA.

La Haute Juridiction juge en effet qu’une diminution par la société absorbée de son emploi et des moyens d’exploitation mis en œuvre ne suffit pas à elle seule à caractériser un changement significatif d’activité dès lors que cette diminution est destinée à assurer le maintien du volume de l’activité à l’origine des déficits.

Le Conseil d’Etat favorise une appréciation économique de la notion de changement d’activité. Cette approche économique n’est pas en contradiction avec l’objectif poursuivi par le législateur, qui vise en effet à éviter la création de déficits artificiels par le biais d’une modification de l’activité de la société ayant vocation à être absorbée.

Cette approche économique n’est pas en contradiction avec l’objectif poursuivi par le législateur, qui vise en effet à éviter la création de déficits artificiels par le biais d’une modification de l’activité de la société ayant vocation à être absorbée.

Or, au cas d’espèce, une société procédant à la rationalisation de ses moyens de production afin de pouvoir pérenniser son activité n’a pas vocation à créer artificiellement des déficits qui seront susceptibles d’être transférés à l’occasion d’une fusion ultérieure.

La seule variation du volume de l’activité, même massive, ne devrait pas conduire à constater l’existence d’un changement d’activité dès lors qu’elle ne traduit pas une politique de l’entreprise visant à organiser la disparition progressive de l’activité à l’origine du déficit, mais qu’elle reflète par exemple de brusques fluctuations du marché.

En conclusion, cette approche devrait permettre aux entreprises de justifier qu’il n’y a pas eu de changement significatif d’activité de l’absorbée avant opération de fusion en présence de baisse significative des moyens d’exploitation.

Quid du changement d’activité après opération de fusion ?

Pour rappel, l’identité d’activité doit également être poursuivie pendant trois ans après l’opération de fusion (Article 209 II du CGI).

Cette question est essentielle dans la mesure où un récent arrêt de la Cour administrative d’appel de Lyon a jugé, dans une affaire aux faits à peu près similaires, que caractérisait un changement d’activité pendant la période de 3 ans suivant la fusion le fait pour la société absorbante de (i) procéder à la réduction importante des effectifs salariés (plus de 55%) et (ii) à la fermeture d’un des établissements dans lequel l’activité était exercée (CAA Lyon 4 février 2021 n°19LY01879).

La CAA de Lyon a refusé de tenir compte des arguments de la société qui faisait également valoir que ces modifications avaient pour objectif de maintenir le chiffre d’affaires de l’activité à l’origine des déficits et qu’en tout état de cause la nature de l’activité était inchangée.

A la lumière du récent arrêt du Conseil d’Etat, une telle solution semble discutable dans la mesure où, si elle était confirmée, elle tendrait à créer une différence d’appréciation selon que l’on se place avant ou après la fusion.

Il est à souhaiter, qu'à la suite du pourvoi en cassation de la société, la future décision du Conseil d'Etat unifie la notion de changement significatif d'activité, avant et après fusion. 

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